comédie policière inédite en sept actes de Cosette Sablong (déposée au S.N.A.C. - syndicat national des auteurs et compositeurs).
UN ACTE PAR JOUR
ACTE I
Un salon cossu : cheminée blanche, meubles anglais
fauteuils de cuir profonds, divan vieil or, horloge de
parquet XVIIème
Des lumières douces...
Deux personnages entrent : une femme en robe du soir et superbes bijoux, la
cinquantaine encore attirante, un homme également en tenue de soirée (il est
plus jeune - environ 35 ans, d'une élégance raffinée)
Ils se laissent tomber dans des fauteuils.
HILDA , ôtant ses escarpins avec ses pieds
Ouf ... Je n'en peux plus ...Que ces gens-là sont assommants. Partout les mêmes têtes, les mêmes mots, les mêmes banalités. Juste la qualité du champagne et du caviar qui varie, et encore dans le mauvais sens . Ils m'épuisent ...
JACQUES
A propos de champagne, je prendrais bien une coupe. Un Dom Pérignon, tiens HILDA
Comme si tu en avais déjà vu un autre chez moi . Allez, fais le service, tu sais bien qu'il y en a toujours au frais.
Jacques bondit sur ses pieds et se dirige à pas pressés vers une porte donnant sur la cuisine. On entend un cliquetis de verres...
HILDA, en aparté
Quel enthousiasme ... S'il se précipitait comme ça dans la chambre à coucher, je n'aurais vraiment pas à me plaindre ... C'était quand, la dernière fois ? Trois semaines au moins. Quand il ne souffre pas de sa hernie, il est fatigué, et quand il n'est pas fatigué c'est sa sciatique qui le torture. A son âge . S'il croit me faire avaler des couleuvres encore longtemps . Tiens, on va voir ce qu'il va inventer ce soir
JACQUES, revenant avec un plateau garni qu'il
dépose sur une table basse entre les fauteuils, se frottant les mains :
Tiens Hilda chérie, ça va nous remettre d'attaque
HILDA, le regardant verser le champagne
D'attaque ? Tu as l'intention d'attaquer quelque chose ... ou quelqu'un, peut-être ? Si c'est le cas, je te signale que le champ de bataille est à côté
(Elle désigne du doigt une porte qui fait face à celle du salon)
JACQUES en se rasseyant, précautionneux tout-à-coup, une main sur la hanche droite, avec une grimace de douleur :
Tu te moques, et méchamment . Tu sais bien que ma sciatique n'est pas guérie. Je souffre comme un possédé.
HILDA
Ah bon ? Jacques, tu veux que je te dise ? Tu es tout simplement grandiose. Je ne t'ai jamais vu danser comme ce soir. Si ... Si... Une aisance, une souplesse, une
élégance... Du courage, quoi . C'est surtout vers l'avant que tu balançais bien. Dans le décolleté de la petite Clara. Il est vrai que la petite Clara est à la hauteur. Elle animerait un centenaire, celle-là ... ou un rhumatisant, ce qui revient au même.
JACQUES vidant sa coupe sans répondre
d'abord, s'en servant une autre, l'air renfrogné, puis d'un ton plaintif :
Hilda, je ne te comprends pas certains jours. Qu'est-ce qu'il y a ?
HILDA s'étirant d'un air las
Rien ... ou si, soyons honnêtes. Je me pose beaucoup de questions depuis quelque temps. L'ennui, tu vois mon Jacques, c'est que je connais toutes les réponses. C'est triste, tu ne trouves pas ? Je deviens une veuve triste. Riche mais triste. Ce n'est pas incompatible, avoue ?
JACQUES en haussant les épaules
Tu deviens surtout compliquée. C'est à peine croyable ...
HILDA (elle pose sa coupe, lève la tête, le fixe, articule sèchement) :
Jacques, j'ai décidé de changer de vie
JACQUES avec un rire forcé
Changer de vie, allons bon ; Et ça consiste en quoi, hein ? Hilda, tu m'étonneras toujours.
HILDA
Je vais t'étonner bien plus encore. Ecoute ça : je vais faire une donation à Juliette. Mon argent me complique décidément trop l'existence. Cette petite est ma seule famille. Elle a vingt-cinq ans et pas un sou devant elle. C'est à son âge qu'on a des besoins, plus au mien. Je garderai de quoi vivre décemment. Il va falloir qu'on se restreigne ...
Il la regarde, bouche ouverte, prend une cigarette d'un geste nerveux, n'arrive pas à faire fonctionner son briquet, jure entre ses dents .
HILDA
... et que tu changes de joujou. Fini la Rolls. Une Clio fera l'affaire ou une Smart, à la rigueur ...
JACQUES levant les mains d'un geste horrifié
Non pas ça . Alors là, non, pas tant que j'aurai un souffle de vie
HILDA
Mais si, mais si ... Tu verras, on s'y fait ... Des milliers de gens se transportent de cette façon-là, alors pourquoi pas toi ? Et puis ...prêt-à-porter et plat du jour, comme tout le monde ...
JACQUES
C'est toute l'estime que tu as pour moi ? Me confondre avec le vulgaire, la populace, la valetaille ? Mais enfin Hilda, qu'est-ce que je t'ai fait ?
HILDA, en aparté
Peu de chose en, vérité, pour ainsi dire rien depuis des semaines. Et moi, l'immobilité m'insupporte, surtout quand elle me coûte cher ...
JACQUES la voix vibrante de colère
Réponds . Pourquoi tu me traites comme ça ? Tu sais pourtant combien je tiens à toi
HILDA, en aparté
Ouais, ouais, ouais ouais ...
puis tout haut :
Moi aussi, mon petit Jacques, je tiens à toi et je vais te le prouver. Tu m'as dit plusieurs fois que tu voulais m'épouser ?
Elle tend la main vers lui, par-dessus la table, d'un geste noble :
Ce soir je t'offre ma main. Ce sera une main sans or et sans argent, une main vide, mais c'est la mienne et je pense que tu seras heureux de l'accepter, depuis le temps que tu me la demandes
( Il baisse la tête, garde le silence, ignore le bras tendu qu'elle ramène avec dignité)
HILDA
Je comprends que tu sois surpris. Tout cela semble très soudain, mais il y a longtemps que j'y pense et je ne changerai pas d'avis à propos de Juliette. Jamais. J'ai déjà vu le notaire.
JACQUES
Je ne te crois pas. ou alors tu es devenue folle, folle à lier. Voyons, tu aimes l'argent autant que moi. Et je ne te vois pas faisant tes courses à Carrefour ou Auchamp ...
HILDA
Moi si . Ce doit être grisant de se mêler au petit peuple, aux gens de la rue ...
JACQUES, enragé
Tu nous vois, dans une H.L.M. ?
HILDA
Oui, oui ... Plus de problèmes d'entretien de domesticité, de cours de la Bourse. Plus aucun souci
JACQUES
Je te préviens que tu ne m'enfermeras pas dans un taudis. Quitte à accepter la prison, je l'exige dorée
HILDA en aparté
Tiens, tiens ... Ce n'est pas une preuve, ça ?
et tout haut :
Calme-toi mon Jacques, calme-toi ...
Il se lève et va vers la porte qui donne sur le vestibule.
HILDA
Jacques ?
Il se retourne, renfrogné.
HILDA
Tu sais, j'ai trouvé notre idylle charmante, au début, quand j'y croyais ... Jacques, dis-moi : qu'est-ce que tu as aimé en moi, à par mon compte en banque ?
JACQUES, revenant vers elle et lui baisant la
main, tendrement :
Ta beauté, Hilda, ta beauté et ta fraîcheur ...
HILDA, rayonnante
Oh Jacques, comme c'est charmant . Merci de me dire ça ...
JACQUES, se relevant, ironique
Ta beauté et ta fraîcheur d'âme, évidemment . Il fallait avoir l'âme belle et fraîche pour y croire pendant deux ans, à ton âge ...
HILDA, se levant et désignant la porte
Mufle ! Dehors, tu m'entends ? Dehors
JACQUES, tournant les talons
Avec plaisir, ma chère
Il disparaît dans le vestibule puis on entend claquer violemment la porte d'entrée.
HILDA (elle se rasseoit et se verse une coupe de champagne)
Et voilà . C'est ce qui s' appelle une exécution.
un long soupir :
Plus souvent que je donnerai mon argent à Juliette, cette peste qui me traite de "vieille taupe". Qu'elle se débrouille ... N'empêche, il a bien marché, le beau Jacques. Et le voilà bien dépourvu ...
Elle se lève, s'approche d'un secrétaire, y pose les deux mains, pensive :
Il est dépourvu et moi je suis seule, ce qui est bien pire. Mais j'étais seule de toute façon. Il ne faisait même plus semblant. Quand il montait, ce n'était plus que pour le champagne ou le whisky...
Elle ouvre à clé l'un des tiroirs du secrétaire, se baisse, allonge son bras, en retire une sorte d'album rouge à reliure glacée, retourne s'asseoir confortablement, ouvre l'album :
HILDA
"L'AMOUR A L'HEURE" - Plaisir assuré - tarifs préférentiels aux abonnés ... Seigneur ... Agence Polignac - Discrétion absolue -
un soupir
Miséricorde, qu'est-ce que j'ai été chercher ...
Elle tourne les pages une à une, lentement ...
HILDA
Une galerie de minets. Qui veut un minet ? Choix à domicile. Le principe de la Redoute en quelque sorte. Satisfait ou remboursé ... Enfin ça c'est un point à vérifier , pour 80 euros de l'heure ...
Un silence - Elle continue de feuilleter :
Et tous des yeux prometteurs ... forcément. Des vrais chiens de luxe ... Elle referme l'album, le dépose sur la table, fait quelques pas agités dans la pièce, se rasseoit, le reprend, revient à la cinquième page
HILDA
C'est décidément le numéro 5 que je préfère. Il est mignon ce blondinet ... Pas très intelligent, à première vue, mais ce n'est pas la qualité qu'on lui demande, après tout. Il ne viendra pas pour me commenter Saint-Simon... Et quitte à payer, j'en aurai pour mon argent, ce qui n'était plus le cas depuis longtemps ... Et puis plus de questions à me poser. Au moins, celui-là, je saurai avec certitude le pourquoi de ses visites.
Elle se lève, traverse la pièce, va se regarder dans le grand miroir qui surmonte le secrétaire
HILDA
Tu n'as pas honte, Hilda ? C'est ce qu'au Grand Siècle on aurait appelé des appétits immodestes. Enfin, du moment que tu as de quoi les satisfaire sans rien demander à personne, où est le mal après tout ? Et puis, c'est toujours ça que Juliette n'aura pas ...
A DEMAIN POUR LE SECOND CHAPITRE
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